Le 14 juin 1941, les familles estoniennes sont chassées de leurs foyers, sur ordre de Staline. Erna, une jeune mère de famille, est envoyée en Sibérie avec sa petite fille, loin de son mari.
Durant 15 ans, elle lui écrira pour lui raconter la peur, la faim, la solitude, sans jamais perdre l'espoir de le retrouver. CROSSWIND met en scène ses lettres d'une façon
inédite.
CE CHEF D’ŒUVRE VA VOUS FIGER !
«Crosswind», qui raconte la vie broyée d'une famille estonienne sous la dictature stalinienne, est une œuvre époustouflante, selon notre critique Alain Spira.
Telle une ère glaciaire s’abattant sur tout un peuple, la dictature stalinienne a ordonné la déportation des Estoniens vers la Sibérie. Nous sommes en 1941 et une famille heureuse prend son petit
déjeuner. Dehors, il fait soleil et le bonheur inonde la maisonnée. Mais bientôt, les couleurs du quotidien vont virer au noir et blanc, tous les mouvements de la vie vont se figer en un rictus
de douleur. Chassés de leur foyer, le père, la mère et leur fillette sont embarqués comme du bétail pour une destination inconnue. Sur le quai sinistre d’une gare, les hommes sont séparés des
femmes et des enfants. Ils ne se reverront jamais…
Pour rendre toute la charge émotionnelle de cette tragédie, Martti Helde, un jeune prodige de 27 ans (il n’en avait que 23 lorsqu’il a initié ce projet), a eu l’idée de génie, dès le moment où le
drame s’abat sur eux, de figer ses acteurs comme dans un tableau vivant suspendu dans le temps. Résultat, « Crosswind » nous convie à une expérience cinématographique inédite où chaque séquence
est tournée dans l’immobilité totale des acteurs. Certaines scènes ont demandé six mois de travail pour huit minutes à l’écran ! Pas question pour le cinéaste de recourir aux effets spéciaux,
encore moins à la 3 D. Et c’est pourtant saisissant. Seule le mouvement de la caméra et l’habillage sonore (le travail sur le son est exceptionnel) animent le film en lui insufflant un relief
époustouflant.
ParisMatch.com
(..)Ce que cherche — et trouve — le cinéaste, avec son dispositif singulier, c'est une approche radicalement différente de la tragédie historique, un peu comme lorsque Peter Watkins se réappropriait les événements de la Commune de Paris. Ni documentaire, ni reconstitution romanesque, Crosswind travaille la matière même de la mémoire. Les victimes, immobilisées, semblent littéralement figées dans le temps. Sidérées. Prisonnières de ce viol psychique si souvent évoqué par les rescapés de tous les camps. Contempler ces fresques humaines, en relief et en profondeur, c'est entrer, de manière presque fantastique, dans une photographie d'époque. Et réfléchir à notre propre rapport aux archives, aux témoignages. Entre empathie et distance. Entre l'Histoire et notre imaginaire.
En excluant tout autre mouvement que celui de la caméra, le film force notre regard. Il nous détourne de notre routine de spectateurs, nous emmène droit dans le décor, parce que ce théâtre humain et géographique prime sur tout le reste. L'approche, volontairement déstabilisante, détonne jusque dans sa splendeur incongrue, insolente, avec ces images brillantes, très contrastées, qui rendent les corps presque palpables. La puissance d'évocation de ce premier long métrage est incroyable : la scène magnifique où, en Sibérie, un groupe de femmes trime dans un champ boueux ressemble au négatif parfait d'une affiche de propagande soviétique. Avec Martti Helde, la beauté redevient essentielle.
Télérama / Par Cécile Mury
Il y a deux raisons pour lesquelles Martti Helde s’est décidé à réaliser un film sur les déportations d’Estoniens en Sibérie durant la Seconde Guerre mondiale. La première est qu’il s’est
beaucoup intéressé et documenté sur le sujet en 2011 à la suite du 70ème anniversaire de l’invasion soviétique en Estonie. La deuxième est qu’il s’est toujours passionné pour les récits de guerre
de son grand-père qui fut blessé et envoyé dans un camp de travail en Sibérie. Martti Helde a donc décidé de faire un film sur ce sujet qui lui tenait à cœur.
Vu qu’aucun film ni photo des camps de travail à l’époque Stalinienne n’existe, Martti Helde a consacré une année à lire des témoignages autobiographiques et à rencontrer des survivants. Le
personnage principal d’Erna est d’ailleurs basé sur une personne ayant réellement existé et ses lettres ont inspiré une partie de l’intrigue.
A plusieurs reprises, l’image est figée dans Crosswind. Pour le réalisateur Martti Helde, figer l’image était une manière de fixer l’attention du public sur des détails en particulier : "Je
voulais prendre le contrôle sur lui. Dans un film « normal », le spectateur est libre de regarder où il veut, à l’intérieur d’un plan. Moi, je voulais le forcer à regarder ce que je lui montrais.
Il n’a pas le choix, il ne peut pas s’échapper", explique-t-il.
Après avoir passé un an à étudier des témoignages de rescapés de camps, Martti Helde n’a pas écrit de scénario à proprement parler, il prenait des notes sur des petites étiquettes. Il a également
dessiné la plupart des scènes sur des feuilles de papier ainsi que les mouvements de caméra.
Crosswind a été tourné en tout sur trois étés et trois hivers avec plus de 700 figurants et 5 acteurs principaux. Le film a été très compliqué à financer en raison notamment de son absence de
scénario. Certaines scènes compliquées nécessitaient parfois 6 mois de préparation à l’équipe.